Sécurité publique : comment améliorer la résilience des systèmes d’alimentation en eau ?

21 mai 2025 | Sécurité générale

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Sécurité publique : comment améliorer la résilience des systèmes d’alimentation en eau ?

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Eau, électricité, souveraineté alimentaire : assurer la sécurité publique nécessite d’assurer l’approvisionnement en ressources essentielles à la vie. La coupure généralisée d’électricité survenue dans la péninsule ibérique fin avril 2025 rappelle l’importance d’anticiper la crise car ces ressources sont bien souvent liées entre elles. Sans électricité, pas de traitement ni de distribution d’eau potable. Comment renforcer la sécurité de l’eau et améliorer la résilience des entités critiques ? Réponses avec Franck Galland, directeur général du cabinet d’ingénieur-conseil Environmental Emergency & Security Services - (ES)² - et par ailleurs chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

L’eau, source de tensions, enjeu de sécurité

Comme pour toute ressource critique on observe une cristallisation de la sécurité autour de la question de l’eau. « L’eau est une ressource essentielle à la vie des populations, de même que pour la continuité d’activité de clients sensibles pour raison sanitaire : établissements hospitaliers, centre de dialyse, … mais aussi pour des clients sensibles pour raison sécuritaire : prison, site du ministère des Armées, site SEVESO qui ont besoin d’eau pour leur process et leur défense incendie », souligne Franck Galland, expert de la sécurité de l’eau. « L’article L732-1 du Code de la sécurité intérieure oblige les exploitants d’un service destiné au public à prévoir des mesures nécessaires au maintien de l’approvisionnement lors de situation de crise. Un opérateur d’eau – qu’il soit en régie publique ou en délégation de service public – se doit de respecter ces exigences. Voilà pourquoi l’eau est devenue un sujet de sécurité publique. »

Par ailleurs, le changement climatique a tendance à amplifier la menace. « On observe aujourd’hui des événements climatiques extrêmes : soit une trop forte quantité d’eau sur une très courte période, soit un manque d’eau généralisé. La mission interministérielle sécheresse 2022 avait comptabilisé au 1er août 2022, 1260 cours d’eau et rivière à sec en France. Un peu plus de 1000 communes avaient manqué d’eau représentant 2,4 millions d’habitants, et 1000 autres étaient en tension. Face à cela, les préfets et les maires ont dû déployer des logiques d’ultime secours, comme par exemple citerner pour remplir des réservoirs ou distribuer des bouteilles d’eau. »

Le manque d’eau peut aussi être la cause de désordres publics. « Les restrictions d’eau peuvent engendrer des problèmes de maintien de l’ordre. Des tensions interviennent également entre usagers de l’eau : irrigants, éleveurs, industriels, populations », souligne Franck Galland.

Menace contre la sécurité publique

La production et la distribution d’eau sont très dépendantes du réseau électrique et les conséquences peuvent être désastreuses si rien n’est prévu. « En cas de crise sur le réseau électrique, comme celle survenue en Espagne, la sanction est immédiate dans le domaine de l’eau. Sans électricité, il n’est plus possible de produire et distribuer de l’eau potable. Certaines usines sont directement alimentées par RTE en THT à 63 000 volts. D’autres par Enedis en moyen tension à 20 000 volts ».

Et les facteurs de crise sont nombreux, en plus de l’approvisionnement électrique, il faut aussi prendre en compte le risque cyber. « Il existe de plus en plus de menaces cyber à gérer sur les systèmes d’information. Cela peut venir impacter la continuité d’activité de l’exploitation si les systèmes d’information industriels qui contrôlent à distance les ouvrages sont touchés. En 2024 aux États-Unis, une vague d’attaques cyber a ainsi été menée par des groupes d’activistes liés à la Russie et à la Chine. Plus proche de nous, il faut noter des tentatives de vols de données techniques et commerciales sur des grands syndicats d’eau. La menace cyber est dans toutes les têtes et peut venir perturber le fonctionnement des opérateurs. »

Les infrastructures liées à l’eau sont également exposées aux ingérences et aux potentielles tentatives de déstabilisation extérieures. « Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’arme de la désinformation est utilisée conformément aux doctrines de guerre hybride. Une campagne de désinformation pourrait très bien être orchestrée sur la qualité de l’eau potable distribuée au robinet ou bien des actes de sabotage pourraient être menés sur des infrastructures critiques. Dans le corps de doctrine des armées russes et chinoises, le sabotage est en effet placé dans le champ des possibles avant une confrontation armée. Comme d’autres secteurs dits d’importance vitale, le secteur de l’eau est dorénavant soumis à des menaces diffuses et permanentes, que les opérateurs doivent intégrer. Il est ici plus que nécessaire qu’ils se préparent à gérer des crises de rupture de continuité d’activité, et qu’ils anticipent des modes de réponse en situation dégradée au travers de plans d’ultime secours. Ceux-ci visent par exemple à citerner pour alimenter un bâtiment sensible, de même qu’à mettre en place des mesures de substitution qui peuvent durer de quelques heures à plusieurs jours, le temps la situation ne revienne à la normale. »

La menace concernant l’eau peut aussi porter sur la contestation et les problématiques de maintien de l’ordre. « A l’occasion des événements survenus en 2023 autour des bassines de Sainte-Soline, les gendarmes mobiles et les préfets de département ont redécouvert que les infrastructures hydrauliques pouvaient être la cible d’actions violentes de la part de groupes organisés contestant un modèle de société, comme celui d’une agriculture intensive voulant consommer plus d’eaux souterraines ou d’un maire voulant construire un ouvrage de retenue à des fins de loisirs. Il y a ainsi un rapport de l’eau à la sécurité de plus en plus étroit : sécurité d’approvisionnement, sécurité de la distribution, sécurité des ouvrages contre tout type de malveillance – y compris terroriste – et sécurité des chantiers hydrauliques », ajoute l’expert. Face à la multiplication des menaces, des mesures sont prises pour favoriser l’émergence d’alternatives en amont de la crise.

Des mesures législatives et réglementaires pour y remédier

Le Code de la Sécurité intérieure prévoit d’inciter les exploitants à adopter un plan de secours interne. « Les exploitants doivent avoir des plans de secours en interne pour pallier les conséquences les plus graves de la neutralisation, de la défaillance ou de la destruction des installations. Deuxième point : il faut pouvoir déployer le plus rapidement possible un service permettant d’assurer les besoins prioritaires de la population en général, et des clients sensibles – pour raison sanitaire et pour raison sécuritaire – en particulier. Troisième point : envisager des mesures permettant le rétablissement du fonctionnement normal du service dans un délai compatible avec l’importance et la sensibilité des populations desservies et tenant compte des dommages subis par les installations. »

A titre d’exemple, « à la suite de la tempête Alex, en octobre 2020, la régie Eau d’Azur a perdu une dizaine d’installations essentielles à l’eau et à l’assainissement, ainsi que 200 kilomètres de réseau. En trois semaines, les agents ont néanmoins réussi à rétablir une qualité d’eau distribuée au robinet des consommateurs, ce dans des conditions exceptionnelles. Pour récompenser leur action, ce fût la première fois – à ma connaissance – qu’un service des eaux s’est vu attribuer la médaille d’or pour acte de courage et de dévouement, par le préfet du département des Alpes-Maritimes », complète Franck Galland. Une preuve de plus s’il en est, que la gestion de la sécurité de l’approvisionnement en eau représente un enjeu de sécurité collective.

De même, « sur l’intercommunalité du Grand Dunkerque, en avril 2019, suite à un problème de casse de conduite majeure, le Syndicat de l’Eau du Dunkerquois et Suez ont dû distribuer 530 000 bouteilles d’eau pendant 3 jours. D’où la nécessité de préparer un plan d’ultime secours, dont le contenu est parfaitement intégrable aux plans intercommunaux de sauvegarde – les PICS – conformément à la loi MATRAS du 25 novembre 2021. Cette dernière vise à consolider notre modèle de sécurité civile, en incitant les intercommunalités à disposer de plans intercommunaux de sauvegarde. Il est ainsi possible d’imaginer un volet « plan d’ultime secours en eau » au sein de ces PICS. Aujourd’hui cependant, il n’existe pas d’obligation légale pour les intercommunalités, qui détiennent pourtant la compétence eau, de disposer de plans d’ultime secours en eau, mais cela est vivement conseillé », ajoute Franck Galland.

La législation continue d’évoluer pour s’adapter au mieux aux changements. « C’est d’autant plus important, qu’arrive en droit français, la directive « Résilience des entités critiques » – REC – obligeant les gestionnaires d’infrastructures critiques, incluant l’eau potable mais également la partie assainissement, à répondre à des exigences concernant l’anticipation des crises et de la continuité d’activité », explique-t-il.

« Les entités critiques devront être en mesure de renforcer leur capacité à prévenir les incidents susceptibles de perturber la fourniture de services essentiels, à s’en protéger, à y réagir, à y résister, à les atténuer, à les absorber, à s’y adapter et à s’en remettre », d’après la directive REC.

Former, sensibiliser et s’exercer pour améliorer la résilience

Améliorer la résilience du secteur de l’eau nécessite une anticipation des risques et des crises par les acteurs. « L’essentiel de l’effort doit être porté par l’exploitant car il doit être en mesure de se remettre sur ses jambes le plus rapidement possible, quelques soient les causes de son déséquilibre. Tout cela repose sur la préparation de plans de continuité et de secours thématiques face à toute éventualité, comme la pollution de la ressource ou la pollution du réseau par exemple. Ces plans permettent de prendre les moins mauvaises décisions pendant les deux premières heures de la crise. Ensuite c’est l’intelligence collective qui prend le dessus », observe Franck Galland.

Toujours dans la phase de préparation, il faut souligner l’importance de l’exercice. « Je crois beaucoup à sa vertu. À entraînement difficile, guerre facile. Les exercices de crise d’exploitation doivent permettre de tester la réactivité des équipes opérationnelles et de l’encadrement au travers de scénarios d’incidents réalistes pour un service des eaux. Certains opérateurs sont par exemple très vulnérables à la pollution des eaux de surface d’un fleuve. Il faut alors pouvoir jouer ce scénario en impliquant la cellule mobile d’intervention chimique du service départemental d’incendie et de secours ainsi que les équipes d’astreinte du Cedre (Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) à Brest, spécialisées en pollutions plans d’eau et rivières. Il n’existe pas d’obligation légale concernant la pratique d’exercice, mais il en faudrait. »

Enfin, renforcer la résilience nécessite de faire émerger une culture de la sécurité de l’eau. « Je trouve remarquable que l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie nationale m’ait donné l’opportunité d’intervenir sur les enjeux stratégiques et sécuritaires liés aux ressources en eau depuis trois ans ; ce auprès de tous les jeunes officiers avant qu’ils ne partent dans la Gendarmerie mobile ou départementale. C’est une forme de sensibilisation qui permet aux officiers de Gendarmerie de regarder l’eau d’une manière différente une fois sur le terrain. J’ai également dispensé un cours sur le sujet à l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI). L’eau n’est plus seulement une question dépendante du ministère de l’Ecologie », précise Franck Galland. Et de conclure : « L’eau est plus que jamais un sujet de sécurité collective et de sécurité sanitaire pour la France métropolitaine, ainsi que pour ses départements et territoires ultra-marins. »

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