Sécurité et cécité ne font pas bon ménage

2 mai 2025 | Éditoriaux

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Sécurité et cécité ne font pas bon ménage

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Les cinéphiles se souviennent peut-être du film de Satyajit Ray sorti en 1977 « les joueurs d’échec » dont le fil rouge est deux amis, tellement passionnés par le jeu d’échec qu’ils pratiquent en continu, qu’ils en oublient les réalités du monde extérieur faites de guerre, de bruits et de fureur. On peut se demander si nous ne sommes pas tous des joueurs d’échecs, chacun à notre niveau, nous berçant de nos illusions de paix et de sécurité alors même qu’à nos frontières se préparent un ennemi décidé.

Comme a de nombreuses autres périodes les démocraties européennes se drapent de leurs certitudes et sont convaincues que la rationalité politique, le pacifisme politique, la croissance économique sont les seuls moteurs qui doivent régir un gouvernement et que, dans ce contexte, la conquête territoriale militaire étant à ranger aux oubliettes des pratiques civilisées. Depuis 2022 nous savons que cela est une grossière erreur. Un régime autoritaire a besoin de conquêtes pour se maintenir.

La Chine se prépare ouvertement à avaler Taiwan et à s’approprier la mer de Chine.

Poutine lorgne sur l’Ukraine mais ne s’interdit en rien les pays Baltes voire aller plus en avant vers l’Ouest.

Trump – et on aurait tort de ne pas le prendre au sérieux – annonce la couleur pour le Canada, le Panama, le Groenland…ce qui fait beaucoup comme intentions pour un démocrate !

L’OTAN qu’Emmanuel Macron voyait en mort cérébrale il y a quelques années est assurément en sursis et connait une de ces Near Death Expérience qui ont fait les beaux jours de nombreux films d’horreur. Ne nous y trompons pas la situation est suffisamment grave pour être considérée pour ce qu’elle est, un temps « d’avant ». Avant quoi il est difficile de le dire. Avant une guerre, assurément si Poutine est encore au pouvoir d’ici à 5 ans il lui faudra bien trouver une nouvelle martingale pour souder la population ou la réduire encore plus au silence, et un conflit, est une solution toute d’évidence surtout quand les promesses économiques ne sont pas tenues.

Il était hors de question de mourir pour Dantzig en 1938, il n’était pas question non plus de le faire pour les Sudètes, la Tchécoslovaquie, seule la Pologne a réveillé, à contre-cœur, les démocraties mais il était trop tard. Allons-nous faire de même avec la Finlande, les États Baltes, voire la Moldavie ou la Pologne ?

Il ne s’agit évidemment pas de mourir par anticipation pour ces territoires mais bien de leur donner une force défensive qui sera dissuasive pour un quelconque agresseur. Ce qui est en jeu ce n’est pas la défense d’Helsinki ou de Tallinn mais bien celle de Paris. En tant que français nous avons de la chance d’avoir des voisins tampons entre nous et la Russie, mais si ceux-ci se réduisent comme peau de chagrin…

Rappelons-nous cette allocution du pasteur Martin Niemöller :

Quand ils sont venus chercher les socialistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas socialiste.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif.

Puis, ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour protester.

Devrions-nous aujourd’hui substituer les mots ukrainien, balte, polonais pour mieux prendre conscience que les propos récents et officiels des chefs d’état-major des armées américaines, anglaises, européennes, sur le risque russe et les intentions de ce pays en termes de conquêtes territoriales, ne sont pas des mots en l’air justifiant de se voiler la face ?

Ce n’est pas en nous infantilisant sur le thème de « tout va très bien…dormez tranquille braves gens » que la société civile va comprendre la réalité de la situation. La politique de l’autruche a ses limites.

Notre classe politique refuse d’endosser le rôle de Cassandre, des syndicalistes voient dans ces discours une façon d’esquiver le traitement des réalités économiques du moment, certains médias optent pour des discours lénifiants à se demander si la notion d’intérêt national a encore un sens pour eux, et ceux qui veulent alerter sont regardés comme des empêcheurs de profiter des vacances estivales qui se profilent à l’horizon des beaux jours.

Il suffirait qu’un « pacte » américano-russe vienne planter le dernier clou dans le cercueil de l’Alliance atlantique pour que l’on se croit en 1939.

Lorsque le film « les joueurs d’échec » se termine un des protagonistes lance à l’autre « après la tombée de la nuit, nous retournerons à la maison. Nous deux avons besoin d’obscurité pour cacher nos visages ».

Nicolas LEREGLE

Directeur des rédactions

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