Les services secrets en France : du Grand Siècle à l’ère numérique des enjeux de pouvoir toujours actuels

15 avril 2025 | Éditoriaux

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Les services secrets en France : du Grand Siècle à l’ère numérique des enjeux de pouvoir toujours actuels

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En France les puissants ont toujours eu des informateurs souvent guidés par leurs intérêts propres mais aussi par celui de l’Etat que le souverain, auquel ils rendaient compte, incarné. Catherine de Médicis entretenait son réseau de courtisanes accortes sachant soutirer sur l’oreiller secrets et renseignements. Mais bien avant, Charlemagne avec ses missi dominici, avait structuré une représentation territoriale de son autorité qui devait tout autant gérer une situation que faire remonter des informations.

Le basculement dans le monde du secret est plus évident au Grand Siècle où une dominante politico-économique s’impose, les Etats colonisent, développent des manufactures, essayent de comprendre les succès des uns et des autres, se concurrencent, en un mot ont besoin de décrypter et décoder techniques et stratégies pour y répondre d’une façon qui soit la plus efficace.

Il en est ainsi, sous le règne de Louis XIII et de son principal ministre, le cardinal de Richelieu. Ce dernier met en place un réseau d’espions pour surveiller les complots internes et étrangers, inaugurant une tradition de renseignement d’État. Sous Louis XIV, la « Cabale noire » et les lettres interceptées deviennent des outils essentiels pour maintenir l’autorité monarchique. Colbert est un grand artisan de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Intelligence Economique mettant en œuvre tout un réseau d’espions pour connaitre et rapatrier en France les technologies de construction navale, de tissage, de production de verres etc. qui pourront accompagner le développement des Manufactures (Gobelins, Saint-Gobain, chantiers navals, armement…) qui subsistent encore de nos jours et de l’économie nationale faisant de la France le pays le plus riche de son temps.

Louis XV que l’on a trop tendance à sous-estimer, joue un rôle central dans l’histoire du renseignement en France avec la création du « Secret du Roi », un réseau clandestin d’espions indépendant de la diplomatie officielle. Mis en place dans les années 1740, ce service personnel vise à servir les intérêts directs du roi, parfois à l’encontre de sa propre administration. Utilisé notamment pour des missions en Pologne ou en Russie, le Secret du Roi marque une étape majeure dans la structuration du renseignement moderne. A cette époque, comme quoi rien ne doit surprendre, le « super agent » du Roi est le chevalier d’Eon qui, tout au long de sa carrière, se travestira au point que son genre masculin ne sera établi qu’après son décès ! Louis XVI qui aura avec Charles Gravier comte de Vergennes le « grand » ministre des Affaires Etrangères (encore aujourd’hui l’occupant du quai d’Orsay s’assoit dans « le fauteuil de Vergennes ») ne dérogera pas à cette pratique.

À la Révolution, puis sous Napoléon 1er, les services secrets prennent une dimension plus militaire. Joseph Fouché, ministre de la Police, incarne l’art de l’espionnage politique, tandis que Napoléon s’appuie sur un vaste réseau d’informateurs pour servir ses ambitions de conquêtes territoriales et d’implantation de pouvoirs fidèles à sa couronne.

Après le second Empire, la Troisième République formalise les structures avec la création du Service de renseignements généraux, chargé du maintien de l’ordre intérieur, et du Deuxième Bureau, pour le renseignement militaire.

Durant les deux guerres mondiales, le renseignement devient un enjeu vital, l’accélération des moyens de communication, téléphone, télégraphe pour ne citer que ceux-ci rendant la circulation de l’information et de la désinformation plus sensibles. Mata-Hari hante encore les mémoires et les fantasmes. La Résistance et les réseaux gaullistes, comme le BCRA, jouent un rôle majeur. Après 1945, la Guerre froide entraîne la professionnalisation et la diversification des services, avec la création du SDECE (ancêtre de la DGSE) en 1947.

Au XXIᵉ siècle, les menaces terroristes redéfinissent les priorités. Les attentats de 2015 en France marquent un tournant : coordination renforcée, loi renseignement, développement des capacités numériques. En 2025, les services comme la DGSE (extérieur) et la DGSI (intérieur) s’appuient sur l’intelligence artificielle, la cybersécurité et le renseignement de source humaine.

En somme hier comme aujourd’hui, les services secrets français ont toujours été le reflet des enjeux de pouvoir et de sécurité de leur temps. Et au XVIIème comme au XXIème on se rend compte que les ressorts humains sont invariables, quand dans les années 60 le général de Gaulle lance à l’ambassadeur de France en Union Soviétique « alors Dejean, on couche ! » pour signifier sa connaissance du piège sexuel tendu par le KGB dans lequel l’ambassadeur était tombé c’était certes il y a 60 ans mais cela peut arriver demain encore. Le monde de l’espionnage est fait de sexe, d’argent, de jalousie et si les technologies évoluent, comme les menaces auxquelles l’État doit faire face, cela n’enlève rien à cette réalité. C’est ce que rappelle avec justesse Eric Dénécé dans la suite de notre propos.

Nicolas LEREGLE
Avocat au barreau de Paris
Directeur de la rédaction

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