Il est toujours intéressant de découvrir un ouvrage qui, de ses 300 ans d’âge, vous apparait comme moderne voire un peu avance sur son temps.
La fable des abeilles de B de Mendeville entre assurément dans cette catégorie. Bien avant que Max Weber se penche sur les ressorts des dynamiques économiques protestantes, voici un auteur qui pose le principe, on dirait aujourd’hui disruptif, que le vice (compris au sens large de comportements en phase avec les 7 péchés capitaux) est une clef essentielle du développement économique.
Nos vices sont, dès lors, les moteurs les plus efficaces de la croissance. Consommation d’alcool, de tabac, de drogue, de sexe, les jeux et paris, recherche de la vitesse, quête à tout prix de la performance et de la richesse, ambition politique, attente médiatique…le curseur de ce qui sépare une consommation vertueuse et celle excessive voire criminelle n’est pas toujours clair.
Le tabac et l’alcool rapportent annuellement 17 milliards à l’Etat et ce montant est en augmentation constante nonobstant la hausse des prix on peut même lui imputer les recettes générées par les retraites non versées du fait du décès des fumeurs soit environ 3 milliards €/an. 7 milliards sont prélevés sur les jeux de hasard et l’idée de taxer les gains au-dessus de 500 € circule aussi, et ce secteur d’activité génère près de 15 milliards € de chiffre d’affaires. Le chiffre d’affaires de la drogue avoisine les 6 milliards € et permet d’assurer la paix sociale dans de nombreux quartiers. Celui du sexe (prostitution/pornographie) frôlerait les 4 milliards € (pour 44.000 travailleurs concernés et les industries qui y sont liées). On y ajoute les 2 milliards € que rapportent les amendes routières et enfin la taxe sur les produits pétroliers met 25 milliards € dans les caisses de l’Etat. En somme ce sont près de 61 milliards € que génèrent directement nos addictions ou goûts selon le point de vue.
Ce montant peut être aisément multiplié par 2 ou 3 si on comptabilise les données de toutes les filières associées qui y participent, buraliste, cafetier, sites Internet, producteurs de spiritueux…une liste exhaustive serait trop longue.
On peut comprendre que l’Etat n’est certainement pas pressé de perdre autant de recettes fiscales et de richesses souterraines, mêmes dissimulées, qui ne sont pas comptabilisées, alors que certains pays le font, ainsi de l’Italie qui l’estime à 35% du PIB national !
Tant que la balance entre rentrées fiscales et économiques et dépenses afférentes (de santé par exemple) sera positive et ne remettra pas trop en cause l’ordre social, le « vice » sera toléré et sera un moteur de l’économie. Et la prohibition, comme cela a été le cas aux Etats-Unis d’Amérique dans les années 30, s’étant révélée inefficace pour ne pas dire un accélérateur de la criminalité et des trafics on ne saurait y recourir. Taxer les commerçants, les consommateurs, les clients est nettement plus rentable. La « fable des abeilles » mérite vraiment d’être lue !
La conséquence logique de cette situation est une délinquance qui lui est associée qui ne peut pas ne pas être réprimée et qui vient donc engorger nos prisons. Ces dernières deviennent donc des espaces où le détenu n’est plus aussi isolé que par le passé. Il arrive assez fréquemment à communiquer avec l’extérieur voire à gérer ses affaires depuis sa cellule, il peut recruter et former de nouveaux complices et assurer ainsi une gestion du turn-over carcéral de ses équipes des plus efficace. Et si G Darmanin a pu inaugurer une prison « spéciale narco » équipée de brouilleurs téléphoniques elle est insuffisante au regard des dizaines de milliers de téléphone qui sont saisis chaque année dans les prisons permettant aux détenus de poursuivre leurs activités.
550.000 condamnations en 2023 et près de 80.000 détenus en 2024 les chiffres sont parlants et sont en constante augmentation. Dès lors il est du devoir de l’État certes, de nettoyer ses propres écuries d’Augias faites de complicité, bienveillance, corruption mais aussi de couper les têtes d’une Hydre qui ne cesse de renaître et qui gangrènent nos territoires de façon importante.
Il ne s’agit pas de rentrer dans un débat politicien pour pointer du doigt telle ou telle cause mais plutôt de rechercher des solutions à une situation qui ne pourra, à terme, que désorganiser un ordre social démocratique et faire opter pour des solutions extrêmes. En cela le renseignement pénitentiaire a constitué une avancée majeure dans l’administration de nos prisons. Il a constitué une réponse organisée à une criminalité intra-muros qui ne l’est pas moins. Il assure aussi une continuité entre la détention et la fin de celle-ci.
Ajouter une police pénitentiaire, au Service national de renseignement pénitentiaire est peut-être une bonne idée, c’est l’avenir qui nous le dira.
Un grand merci à Jean-Jacques Urvoas ancien garde des Sceaux et initiateur du renseignement pénitentiaire d’avoir accepté de nous donner son regard tant sur le bilan de son initiative que sur l’actualité récente de ce sujet.
Nicolas LEREGLE