Les jeux

10 avril 2025 | Éditoriaux

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Les jeux

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Nous ne sommes pas en 1962 au plus fort de la crise des missiles de Cuba mais on doit reconnaitre quand même que le contexte géopolitique n’incite pas à l’optimisme quant à la probabilité d’employer ou non l’arme nucléaire.

A l’instar de ses prédécesseurs en 1956 et 1962 Poutine brandit l’arme nucléaire comme son ultime recours. Ultime c’est à voir car la doctrine militaire russe énonce un emploi tactique de celle-ci, sur un champ de bataille par exemple.

A raison on parle de banalisation de l’usage de cette arme or le concept de Mutual Assured Destruction (MAD) est encore d’actualité entre la Russie et les Etats-Unis d’Amérique et ne fait pas du nucléaire une arme banale.

On oublie parfois qu’en 1956 la France a été directement menacée de la sorte avec pour objectif de l’arrêter avec le Royaume Uni et Israël, lors de l’opération de Suez. On omet aussi que les Etats-Unis d’Amérique et la Russie ont eu une approche menaçante commune à ce moment. Dès lors les doutes qui naissent des propos de Donald Trump quant à une désolidarisation des membres de l’OTAN et d’un parapluie américain qui se refermerait ne doivent pas surprendre.

En toute logique en tant que puissance nucléaire la France ne devrait pas connaitre le feu nucléaire sur son territoire métropolitain, maintenant la notion d’intérêt vital, dont l’atteinte pourrait entrainer une réponse de cette nature, repose sur le secret qui l’entoure ayant vocation à introduire une dose d’incertitude dans la prise de décision d’un ennemi. C’est le concept de la MAD ou mutual assured destructionqui a été posée dans les années 50 par la Rand Corporation.

Il repose sur l’équation mathématique de la probabilité de survie (S) d’un pays après une frappe nucléaire à savoir : S =

  • S est la probabilité de survie après une attaque,

  • D est le nombre d’ogives frappant le territoire,

  • λ est un coefficient représentant l’efficacité destructrice des armes.

Si D est suffisamment grand, alors S tend vers 0, ce qui signifie une destruction totale.

La théorie des jeux est venue expliciter plus crument ce modèle avec le jeu de la poule mouillée (Chicken Game) qui est souvent utilisé pour représenter la MAD :

  • Deux superpuissances (A et B) peuvent choisir entre coopérer (ne pas frapper) ou déclencher une attaque.

  • Si une seule frappe, elle gagne, mais si les deux frappent, elles subissent une destruction totale.

  • L’équilibre du jeu repose sur la menace crédible de représailles.

Bien entendu cet équilibre a vocation à concerner pour les puissances nucléaires considérées leur territoire national par essence sanctuarisé et les intérêts vitaux qui en découlent. Un usage de la force nucléaire sur un espace tiers aux puissances concernées n’aurait pas le même effet d’entrainement.

L’action russe en Ukraine a fait éclater de nombreuses certitudes.

Qu’une guerre territoriale « classique » en Europe comme celles des siècles passés n’avait plus de raison d’être. Les tranchées de 14-18 étant reléguées aux images d’archive et n’ayant pas leur place dans les « breaking news » des chaines d’informations en continu.

Que dissuasion française et parapluie américain pouvaient prévenir toute résurgence d’instabilité entre les nations du continent européen et que l’OTAN serait un bouclier éternel et protecteur.

Que la croissance économique et ses promesses de développement empêcheraient par nature le retour d’un bellicisme territorial surtout de la part d’un pays qui est, en superficie, le plus grand du monde.

Que la menace nucléaire était un sous-entendu qui, tel Voldemort, ne devait jamais être évoqué à haute voix.

Que les conflits modernes seraient nécessairement de courte durée et hautement technologique justifiant des forces armées réduites à quelques dizaines de milliers d’hommes et à de faibles stocks de munitions.

Toutes ces certitudes et bien d’autres ont volé en éclats. La question de la fin du conflit en Ukraine ne laisse pas présager une paix durable mais semble, pour ce que l’on en sait, prendre la voie d’une opposition à venir. Le caractère hybride des conflits actuels a aussi montré qu’il fallait repenser l’organisation de la défense territoriale. La volonté de réarmement initiée par la Commission Européenne, le basculement plus ou moins visible de certains pays dans une économie dite de guerre, sur le modèle de la Corée du Sud ou d’Israël par exemple, les menaces qui se profilent à l’encontre des pays baltes mais aussi des territoires ultramarins français sont autant de signaux inquiétants.

La polémologie montre, depuis l’origine, que la guerre est un jeu dont personne ne respecte les règles et qui défie les a priori logiques.

S’interroger sur la façon dont la France peut s’y préparer avec toutes les précautions de langage visant à n’affoler personne est donc d’une réelle actualité. A bas bruit nos forces armées s’y préparent, la Gendarmerie nationale participe à la protection des infrastructures d’importance vitale et à la lutte contre les cyberattaques.

Un ancien militaire spécialiste des risques NRBC nous rappellera que le nucléaire n’est bien évidemment pas le seul danger encouru au cours d’un conflit et que le chimique ou le bactériologique n’ont pas été remisés aux oubliettes des arsenaux. Et si nous sommes encore habitués à la sirène de midi du premier mercredi de chaque mois, dont beaucoup ignorent la signification, et qui est une spécificité très française il existe une panoplie de consignes et de signaux d’alerte dont nous donnerons aussi un aperçu. Une guerre, par nature, débutera par la volonté de neutraliser les systèmes d’information informatique, téléphonique et cellulaire il n’est donc pas idiot d’avoir un système sonore mécanique.

Les jeux ne sont pas encore faits mais n’ignorons pas que la table est dressée et que de nombreux joueurs ont pris place autour d’elle, tous ont la volonté d’emporter la mise et sont disposés à user de toutes leurs armes, l’intimidation, le bluff, le hasard, la roublardise…

Nicolas LEREGLE

Directeur de la rédaction

Avocat au barreau de Paris

Ancien auditeur INHES (19e)

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