Lieutenants de louveterie : les plus anciens écologistes et défenseurs de la nature ?

13 juin 2025 | Sécurité générale

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Lieutenants de louveterie : les plus anciens écologistes et défenseurs de la nature ?

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Super-chasseur ? Shérif de la nature ? Ou défenseur de la biodiversité ? Les lieutenants de louveterie sont souvent méconnus et leur rôle souvent ignoré, y compris parfois même par les services de l’Etat. La charge de lieutenant de louveterie a souvent été utilisée par le passé comme distinction pour les notables ou pour réaliser des battues de sangliers mais avec l’arrivée du loup, les lieutenants de louveterie prennent toute leur place en complément des services de l’Etat. Ils se spécialisent et remplissent de nombreuses missions d’intérêt général. Rencontre avec Julien Nicolas, président de l’association des lieutenants de louveterie de France.

Une association d’utilité publique

Avec ses 1800 adhérents, l’association des lieutenants de louveterie est « d’abord une association nationale qui regroupe l’ensemble des lieutenants de louveterie et reconnue d’utilité publique, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et du ministère de l’Ecologie », explique Julien Nicolas, président de l’association des lieutenants de louveterie de France. « Et se décline en associations régionales et départementales, chacune en lien avec le préfet de région, le préfet de département et les services étatiques qui en dépendent. »

L’association remplit une mission d’intérêt général, elle représente le bras armé du préfet sur le territoire. « Le lieutenant de louveterie exécute des mesures administratives, notamment la destruction d’animaux ESOD (Espèce susceptible d’occasionner des dégâts) ou la destruction d’espèce posant des problèmes sanitaires ou de sécurité publique. Il peut s’agir de sangliers apportant des maladies, des sangliers faisant des dégâts sur des terrains agricoles, des sangliers posant des problèmes de sécurité en ville ».

Le fonctionnement des lieutenants de louveterie répond à une logique de subsidiarité. « En local, le lieutenant de louveterie reçoit des arrêtés et décide de la meilleure façon de les exécuter. Pour une bonne gestion du personnel, des moyens, des matériels et pour avoir une bonne coordination, le président du groupement départemental va piloter l’équipe départementale, en lien permanent avec les services du préfet. »

Des chasseurs pas comme les autres

Les lieutenants de louveterie pourraient être assimilés à des chasseurs mais réalisent des missions d’intérêt général et interviennent sur ordre du préfet, de jour comme de nuit. « La chasse est soumise à l’arrêté ministériel de 1986, pour notre part nous faisons partie de la police de la destruction : par tout moyen, en tout temps, en tout lieu. Nous ne sommes pas concurrents des chasseurs, nous rendons compte directement au préfet. »

Les lieutenants de louveterie sont « nommés par arrêté préfectoral, assermentés, avec une tenue obligatoire, un port d’arme, une formation au tir à l’arme de service, au tir à la carabine. L’arrivée du loup s’est accompagnée d’une augmentation des compétences des lieutenants de louveterie qui s’entrainent sur des tirs à 100 ou 300 mètres, de nuit », ajoute le président. « Auparavant la sélection des lieutenants de louveterie pouvait suivre une logique de nomination de complaisance, en nommant des chasseurs compétents ou des notables, mais actuellement le recrutement est tout à fait différent, et se concentre sur la sélection de profil spécialisé, discret et efficace comme peuvent l’être un ancien gendarme ou un pompier. Nous cherchons des profils capables de respecter le devoir de réserve et le devoir d’excellence. »

Il s’agit d’un engagement nécessitant une forte disponibilité et sur demande des pouvoirs publics. « Parfois nous intervenons à la demande des maires, pour des vaches sur l’autoroute, contre des chiens errants, ou pour prélever des sangliers. En local, le lieutenant de louveterie exécute ses arrêtés, en bonne coordination avec la Direction départementale des territoires (DDT). Il peut aussi effectuer des missions de relevé de terrain, information ensuite transmises à la Gendarmerie, à l’OFB ou à la Police municipale », souligne-t-il.

On observe une montée en puissance des lieutenants de louveterie ces dernières années. « Depuis une dizaine d’années, nous sommes rattrapés par des missions assez nouvelles, qui redorent le blason de la louveterie, avec des interventions de plus en plus professionnelles. Avec l’arrivée du loup et les tirs de défense sur les troupeaux, on réalise plus de 80% de prélèvements sur les loups. L’année dernière il y avait 209 loups à prélever, nous en avons prélevé environ 190. Cette année le quota est un peu plus bas », précise Julien Nicolas. « La brigade mobile de l’OFB peut intervenir en renfort, se déplace sur l’ensemble du territoire français et s’appuie sur une connaissance du terrain des lieutenants de louveterie, notamment lorsqu’il faut repérer les lieux de passage du loup, dans des territoires comme le mont Ventoux ou le Vercors. »

Le matériel des lieutenants de louveterie et des chasseurs, ainsi que la finalité des missions sont très singuliers et répondent à des exigences précises. « Contrairement aux chasseurs, les lieutenants de louveterie peuvent intervenir en ville, avec des lunettes de tir thermique et des réducteurs de bruit, pour repérer et prélever les animaux en divagation par exemple. »

 

 

En phase de professionnalisation

Ils couvrent des zones souvent peu habitées, le rôle des lieutenants de louveterie est donc aussi un rôle de capteur sur le terrain. « Avant, il nous était parfois reproché de ne pas faire assez remonter l’information. Un site de mission a donc été créé pour favoriser la transmission d’information aux services de l’Etat. Quand on part en mission, on informe le CORG ou la police et tous les services de l’Etat, puis un compte-rendu de mission est rédigé à la fin de l’intervention. Nous avons un rôle important de remontée d’information car les zones montagneuses peuvent être des zones de trafic ou des zones de repli pour des militants radicaux, qui veulent se mettre au vert. Ça avait été le cas pour des Loups Gris, une association turque ultranationaliste, qui allaient s’entrainer en forêt », confirme le président. « Quand nous sommes appelés pour de l’agrainage intensif ou pour du braconnage, nous devons faire remonter l’infraction à nos collègues de l’OFB, mais on va rarement rechercher l’infraction. »

Même en phase de montée en puissance, certains départements ont beaucoup recours aux lieutenants de louveterie contrairement aux départements qui rencontrent uniquement des problèmes de corbeaux ou de choucas par exemple. Pour le reste, la charge de lieutenant de louveterie est un engagement bénévole. « Les équipements obligatoires, du matériel, des armes, des munitions, de l’essence, des véhicules sont à la charge des lieutenants de louveterie », observe le président de l’association.

Confrontation avec les associations de protection de la nature

Les lieutenants de louveterie sont le bras armé du préfet sur le territoire mais évoluent sur le même terrain que les associations de protection de la nature. « En intervention en montagne, nous sommes parfois surveillés par des drones thermiques. Un des problèmes majeurs serait de voir sortir une vidéo ou une photo publiée et sortie du contexte, d’où l’intérêt de travailler de manière spécialisée et discrète », indique Julien Nicolas.

Des oppositions plus directes peuvent malgré tout intervenir. « En cas d’opposition marquée – ou même d’insulte – on relève puis on va au tribunal », explique le président. « Un collègue a été insulté une nuit au bord de la route, ça a coûté 3000€ à la personne à l’origine de l’insulte. »

L’entité créée par Charlemagne est toujours présente et continue à quadriller le territoire national, malgré les changements de régime et les changements politiques en tout genre, « les effets de mode ne nous atteignent pas », preuve que les lieutenants de louveterie ont, plus que jamais, un avenir en France et un rôle écologique à jouer.

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