Un nouveau-né dans la communauté du renseignement
Le renseignement pénitentiaire a été créé suite aux attentats de 2015, dans un contexte de menace terroriste accrue. « Nous sommes partis du constat que nous ne pouvions pas considérer que l’univers pénitentiaire était isolé du reste de la société », partage Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux, à l’origine de la mise en place du renseignement pénitentiaire.
Au niveau de l’administration pénitentiaire, « il existait déjà un état-major de la sécurité qui faisait un peu de renseignement. Au moment du projet de loi de la justice du XXIe siècle, portée par Christiane Taubira, le député LR Guillaume Larrivé avait proposé la mise en place d’un service de renseignement pénitentiaire mais l’amendement n’avait pas été adopté. La ministre s’y opposait », confie l’ancien Garde des Sceaux au micro de Rue Bleue. « Cette graine avait germée dans mon oreille. Avec l’augmentation des détenus classés comme radicalisés, il était logique qu’ils soient suivis aussi bien à l’extérieur des murs qu’à l’intérieur. Il fallait aussi un interlocuteur pour la DGSI et la DGSE. » C’est dans ce contexte qu’a été mis en place le Bureau central de renseignement pénitentiaire (BCRP), « en référence au BCRA (Bureau central de renseignement et d’action) », souligne l’ancien ministre, en clin d’œil à l’ancêtre de la DGSE.
Montée en puissance : « le bureau a gagné en reconnaissance »
En 2019, le BCRP est devenu SNRP – Service national de renseignement pénitentiaire – répondant à une logique plus administrative qu’opérationnelle. « Le changement a eu lieu sous la ministre Nicole Belloubet et n’a pas de signification autre que la justification d’une meilleure situation dans l’appareil de l’Etat, en matière de sociologie administrative et de hiérarchisation. Le bureau a gagné en reconnaissance », souligne Jean-Jacques Urvoas.
Ce service de renseignement pénitentiaire apparaît comme une réussite hexagonale. « La France était pionnière en Europe en mettant en place ce service de renseignement et probablement même hors d’Europe. Aucun autre exemple n’avait été trouvé de service de renseignement à compétence pénitentiaire », précise-t-il. Et d’ajouter : « Le Canada, habitué à gérer des gangs, disposait de dispositifs similaires mais pas assez pertinents pour que ça puisse justifier un déplacement lorsque j’étais ministre ».
L’arrivée de ce nouveau service au sein de l’administration pénitentiaire s’est déroulée positivement vis-à-vis des autres services. « Au niveau de l’administration centrale, le directeur a rapidement compris que le renseignement pénitentiaire offrait une plus-value pour gérer l’ordre public en détention ; quant aux personnels, ils y ont vu une opportunité professionnelle supplémentaire dans un métier considéré comme peu attractif. »
Un service de renseignement bien identifié
La compétence du Service national de renseignement pénitentiaire repose sur un univers fermé « contrairement aux autres services de renseignements qui peuvent souffrir d’un empiètement sur des zones similaires. L’univers est parfaitement identifié, ce qui apporte une forme de confort, très original » dans la communauté du renseignement. Toutefois, « travailler en univers fermé peut aussi complexifier la tâche car les personnes privées de liberté sont sensibles à la captation de l’information. Tout cela demande un savoir-faire, apporté notamment par la DGSI dès la création du service ».
Aujourd’hui dirigé par la magistrate Camille Hennetier, le ministre se félicite de cette spécificité dans la communauté du renseignement. « Je l’avais souhaité dès l’origine du service en nommant Charlotte Hemmerdinger, certain que la déontologie propre aux magistrats judiciaires apportait une garantie supplémentaire dans le respect des procédures ».
Incarville : « un échec du renseignement pénitentiaire »
Les consignes données à l’origine de la création du renseignement pénitentiaire visaient à couvrir un large spectre des menaces. « A la mise en place du service, la consigne était 50/50 : 50% des moyens consacrés à la lutte contre le terrorisme et 50% consacrés à la lutte contre la criminalité organisée », observe l’ancien ministre. « A ma connaissance, cet équilibre n’est malheureusement plus tenu et l’assassinat de deux surveillants pénitentiaires au péage d’Incarville dans l’Eure en mai 2024 constitue à ce titre, un échec du renseignement pénitentiaire. Une escorte de haut niveau aurait dû être mise en place pour éviter ce drame mais la menace est – visiblement – passée sous les radars. » Preuve supplémentaire que l’action du renseignement pénitentiaire se trouve au centre des enjeux aujourd’hui, comme le soulignent les annonces du nouveau Garde des Sceaux.
CEDH et Gérald Darmanin : des changements à venir ?
Alors que la CEDH vient de rejeter les recours liés à la loi renseignement qui avait tant fait débat en 2015 pour leur caractère « liberticide », l’ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas – qui avait aussi été rapporteur de cette loi à l’Assemblée nationale – se félicite de cette annonce. « Je suis très satisfait de cette décision réaffirmant que le cadre légal est robuste. La loi apporte la possibilité pour le citoyen et pour le détenu de faire appel à un juge pour s’assurer que, s’il existe une surveillance, celle-ci n’est pas indue. Une section particulière du Conseil d’Etat n’est pas liée par le secret-défense et peut instruire. »
Concernant les annonces de Gérald Darmanin, le 23 janvier 2025, relatives à la création d’une police pénitentiaire, Jean-Jacques Urvoas partage un sentiment mitigé. « J’attends de voir quelle sera la réalité matérielle car s’il s’agit uniquement d’une question d’appellation, cela relève du volontarisme verbal dont le ministre de la Justice fait preuve depuis qu’il est Garde des Sceaux. Sur le fond, je n’ai pas de difficulté à envisager un effort supplémentaire dans le domaine du renseignement car je crois avoir été le premier Garde des Sceaux à bâtir un plan de sécurité car je considérais qu’il y avait un besoin dans ce domaine, nous avions créé des équipes locales de sécurité. S’il s’agit uniquement de les rebaptiser « police pénitentiaire », cela me paraît « cosmétique ». Je me méfie de la gouvernance de l’administration pénitentiaire à coups de trompette et de roulements de tambours car elle est extraordinairement fragile. Personne n’est heureux : ni les détenus qui sont en surpopulation chronique, ni les personnels en sous-effectifs permanent. L’actuel ministre de la Justice me paraît un peu caricatural dans ses annonces », conclut l’ancien ministre.