IA et datacentres une relation pour le moins énergique

10 avril 2025 | Innovation/international

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IA et datacentres une relation pour le moins énergique

par | Innovation/international

Nicolas Lerègle : qu’est-ce qui provoque l’emballement actuel autour de l’IA ?

Bertrand Guezel : pour résumer en une ligne, L’IA ne sort pas du chapeau mais est passée par plusieurs phases au cours desquelles elle a connu des accélérations grâce à des découvertes mathématiques puis des ralentissements en raison de technologies pas encore au bon niveau (manque de puissance de calcul).

Ces 20 dernières années, de nouvelles avancées en matière de Deep Learning (réseaux neuronaux) ont souligné la notion de Big Data, à savoir la masse conséquente de données que nous générons par nos usages. Et, pour schématiser, l’accès à ces masses de données ont permis d’accélérer l’apprentissage de modèles d’Intelligence Artificielle qui n’attendaient que cela.

Dans le même temps, nous avons construit de plus en plus de datacentres, ces bâtiments qui permettent non seulement d’héberger toutes nos données (issues à la fois de nos interactions professionnelles et personnelles) mais également les moyens de calcul.

En effet, un datacentre a besoin de fonctionner 24 heures sur 24 ; et pour cela, il lui faut une source d’énergie fiable et stable. Cela donnée une idée du succès actuel de la France sur ce sujet.

L’emballement actuel est donc lié à l’arrivée à maturité de plusieurs sujets et nos comportements actuels sont compatibles : c’est le bon moment.

N.L : comment fait-on pour assurer un fonctionnement fiable quand l’IA semble demander autant de ressources ?

B.G : c’est un fait que l’IA ressemble à un ogre qui avale tout ce qu’on peut lui fournir. Données comme énergie. Nous avons vu récemment les efforts engagés par la France pour renouer avec la souveraineté énergétique. Il suffit de regarder la liste des pays performants actuellement dans ce domaine pour tirer un parallèle disponibilité d’un parc nucléaire et efficacité du parc de datacentre. Une énergie disponible et stable est un gage de fiabilité des datacentres. Que ce soit dans sa phase de développement et d’entraînement ou dans sa phase de production (calcul), un algorithme d‘IA se sentira à l’aise sur notre territoire tant qu’on lui assurera son alimentation en énergie électrique.

A titre d’exemple, chez AutonomVault, nous travaillons sur l’optimisation et la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement d’énergie : même si cela fonctionne déjà bien, il y avait encore quelques points à améliorer.

N.L : est-ce que la France peut tirer son épingle du jeu ?

B.G : La France dispose d’atouts considérables. : le Made In France continue d’avoir son importance, regardez le succès de pépites françaises élevées au rang de licornes !

Nous sommes au stade du marché où nous concevons non seulement des applications pour les entreprises et le grand public mais nous concevons en plus le moteur qui les fait les tourner.

En outre, la France est devenue un territoire stratégique en matière de datacentres. En effet, notre pays jouit d’un réseau de transport et de distribution relativement bien conçus et l’énergie, en plus d’être fiable et stable, y est encore abordable malgré quelques déconvenues il y a 2-3 ans.

Dans la mesure où la France produit 85% de son énergie électrique grâce à son parc nucléaire (source : EDF), nous disposons d’un réseau sûr, évolutif et – dans une certaine mesure – respectueux de l’environnement.

Il suffit de regarder la liste des pays qui tirent la performance vers le haut pour se rendre compte de l’importance de ce paramètre.

N.L : est-ce que cela signifie que nous n’avons besoin de personne ?

B.G : Vaste sujet. A l’origine, les datacentres étaient nommés « carrier hotels » : des hôtels d’opérateurs. Le marché des télécoms tentait de réunir sous un même toit un maximum d’opérateurs avec l’objectif d’améliorer l’interconnexion entre les réseaux afin que les utilisateurs disposent de contenus provenant de toutes parts. Ils ont progressivement évolué pour devenir ces grands bâtiments hébergeant à la fois les moyens télécoms mais également de grandes salles dans lesquelles les sites de e-commerce, les plateformes de streaming et les banques hébergent le contenu web. Et donc, depuis peu, les développeurs de moteurs et applications d’IA qui ont besoin d’un peu de place dans un endroit sécurisé, de beaucoup d’énergie et de climatisation. L’Internet démontre que nous avons besoin les uns des autres.

Néanmoins, si la question de la souveraineté énergétique s’est posée au regard des difficultés d’approvisionnement en raison des tensions internationales, la souveraineté numérique est un sujet qui prend de l’ampleur compte tenu de l’utilisation qui est faite par certaines entités présentes sur les réseaux. On ne parle pas seulement de piratage mais d’officines pilotées par des Etats qui cherchent à obtenir à la fois des données personnelles et gouvernementales dans le cadre de campagne de renseignement.

Il est alors important de pondérer l’importance de ce que nous (individus ou entreprises) hébergeons dans des datacentres que nous maîtrisons ou sur des plateformes Cloud, qui sont, de fait, déléguées à d’autres acteurs (le plus souvent étrangers). Ces derniers répondent à des besoins : à nous de jauger la criticité de ce que nous leur confions et les risques associés à ces prestations.

Bertrand Guézel

Entrepreneur dans le domaine des télécoms, des datacentres et de la cybersécurité.

Consultant Technologies pour Paris 2024.

Vice-président de l’International Sport Technology Association.

Membre du bureau de l’Agence pour la Souveraineté Numérique.

Auteur / autrice

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